TROIS QUESTIONS DE RÉGIONS ET PEUPLES SOLIDAIRES AU DÉPUTÉ SÉBASTIEN NADOT
Quel est le sens de votre rattachement à Régions et Peuples Solidaires ?
C'est la deuxième année que je suis rattaché à Régions et Peuples Solidaires dans le cadre de la législation sur le financement de la vie politique. La première année était plutôt un arrangement « technique ». Mais cela a été l'occasion pour moi de regarder plus attentivement la profession de foi de la liste pour les européennes de 1994 de R&PS et les combats politiques et démocratiques de ce rassemblement.
État de droit, Europe de la diversité, adaptation nécessaire de l'État pour servir au plus près les gens, centralisme parisien nuisible, productivisme destructeur versus équilibre écologique qui pense les générations à venir : autant de thèmes sur lesquels j'essaie de porter le fer à l'Assemblée nationale ! Il y a donc clairement une logique politique.
Mais, comme dans toute aventure, les rapports humains comptent également beaucoup. Les quatre parlementaires R&PS de l'Assemblée nationale - les 3 mousquetaires corses et Paul Molac - portent leurs combats communs et respectifs dans l'hémicycle - et autour - avec beaucoup d'énergie, de conviction, de rigueur et de justesse. Même s'il peut y avoir ça et là un point de désaccord, leur manière de s'investir est stimulante et leur soutien toujours très précieux.
La défense des prisonniers politiques catalans occupe une place importante dans vos travaux parlementaires. Pourquoi ce thème vous mobilise tellement ?
Depuis plusieurs années, nous sommes confrontés à plusieurs mouvements de fond dans les sociétés occidentales et africaines (je connais moins l'Asie). A l'évidence, les réseaux sociaux ont modifié les rapports humains dans nos sociétés. Malheureusement, en beaucoup d'endroits, le pouvoir se précipite vers une recentralisation ou une centralisation excessive pour répondre à cette nouvelle situation. De la sorte, le pouvoir centralisé se recroqueville et s'éloigne des gens. Or, la démocratie nécessite au contraire davantage de proximité, notamment parce que c'est la condition pour que la phase décisionnelle d'un processus politique soit bien le résultat d'un processus démocratique. Cela questionne donc sur l'échelle pertinente du bon usage de la politique... L'Espagne, comme tous les pays européens (je suis historien...) s'est bâtie sur une mosaïque de petits territoires. La mise en commun de principes et de règles de droit a permis de construire la nation espagnole. Un grand ensemble peut permettre à certains moments de l'histoire de mieux répondre à des défis conséquents. Or, dans le cas des prisonniers catalans, deux problèmes majeurs se posent.
Il y a d'abord le refus par le pouvoir à Madrid d'accepter toute démarche au plus près des citoyennes et des citoyens, en témoigne les suites judiciaires du référendum en Catalogne de 2017. Condamner, parfois jusqu'à plus de 10 ans de prison, des responsables politiques parce qu'ils ont interrogé pacifiquement leurs concitoyens sur la manière dont ils voulaient faire société à l'avenir, témoigne d'une démocratie espagnole aux abois, qui a perdu sa boussole et ne parvient plus à se regarder grandir.
Et puis, il y a l'Europe : l'Espagne ne reconnaît pas non plus ses engagements vis-à-vis des autres pays européens concernant la situation en Catalogne. Oriol Junqueras n'était pas un député espagnol, mais un parlementaire européen qui doit des comptes aux citoyens de l'Union Européenne. La Cour de Justice de l'Union européenne a dit le droit, et Oriol Junqueras devrait aujourd'hui encore être l'un des députés de tous les Européens, mais l'Espagne a dit non. L'état de droit de l'Union européenne n'est pas respecté concernant la Catalogne.
Je suis parlementaire d'Occitanie, et je m'inquiète qu'un pays comme l'Espagne ne joue pas le jeu en trichant sur les règles qu'elle connaît et a accepté.
La double faute, consistant à méconnaître les spécificités régionales et refuser ses obligations supra-nationales, ressort d'une incompréhension totale des enjeux d'une démocratie moderne.
En Catalogne, la population a une maturité politique beaucoup plus affûtée qu'ailleurs, alors, par delà mon attachement affectif à cette région qui m'est proche, comment ne pas s'inquiéter de la réponse du pouvoir et ne pas établir quelques parallèles avec ce vers quoi on s'avance, à notre manière, en France ?
Comment jugez-vous le bilan du quinquennat d'Emmanuel Macron ?
Porter un jugement avant la fin et compte-tenu de l'irruption du virus mondial est difficile.
Mais plusieurs évidences s'imposent : le nouveau monde n'est pas là. Le renouvellement conséquent de la classe politique n'a pas porté les effets escomptés.
J'ai fait partie de la majorité pendant les premiers mois de ce quinquennat. Nous avons échoué. L'arrêt net de l'examen de la réforme constitutionnelle à l'été 2018 pour cause d'affaire Benalla était incompréhensible. Que cet examen n'est jamais repris depuis est hallucinant. Le mouvement des Gilets jaunes venu juste après appelait pourtant également à de profondes transformations.
Le bilan après 4 années est donc bien maigre. Notre Constitution date de 1958, avant la décolonisation ! Le vent qui a poussé Emmanuel Macron au pouvoir n'a pas amené les changements nécessaires et promis. Du Grand débat suite au mouvement des Gilets jaune à la convention citoyenne pour le climat en passant par un parlement muselé dans ce temps de pandémie, la démocratie façon élyséenne est très théâtrale et remet toujours au lendemain les problèmes de fond.
Faire face aux défis qui viennent et qui s'inscrivent tous dans la durée - climat, environnement, mondialisation économique et sanitaire - passe par un renouvellement des institutions, vers une démocratie de proximité, où les pouvoirs et contre pouvoirs savent reconnaître les limites de leur champ d'action.
Cela passe par une remise à plat des rapports entre pouvoir exécutif national et ceux des différentes collectivités, afin que les spécificités de chacune ne deviennent pas des freins mais bel et bien une richesse. Cela passe par une justice indépendante et là, force est de constater que tant que les magistrats du parquet seront placés sous l'autorité du garde des Sceaux, ministre de la justice, notre démocratie sera très imparfaite...
Le combat démocratique sera encore long et de tous les instants. Ce n'est pas le chemin le plus facile, individuellement ou collectivement.