Parlant de «dérive autoritaire» de l'Etat espagnol, des députés européens Verts-ALE expriment leur soutien aux élus catalans qui subissent selon eux injustices et discriminations.
Notre collègue député européen Oriol Junqueras a été élu en mai dernier, avec plus d’un million de voix, parlementaire européen. Son élection, contestée par les autorités espagnoles, a été confirmée par une décision des juges de la Cour de justice de l’Union européenne. Pourtant il croupit en prison avec huit compagnons – six hommes et deux femmes – comme lui élu·e·s démocratiques du peuple catalan.
Leurs condamnations vont de neuf à treize ans de prison, des durées réservées à des faits criminels très graves n’importe où en Europe, alors même qu’il n’ont commis ni violence ni détournement de fonds. Emprisonnées séparément dans les deux prisons pour femmes du pays, Carme Forcadell et Dolors Bassa subissent des conditions de détention qui sont encore plus dures car elles sont isolées dans leurs prisons respectives.
Nous avons rendu visite à ces détenus dans leurs prisons les 23 et 24 janvier derniers. L’émotion a été grande, pour nous trois, de partager un instant de solidarité avec des élus qui font face à la pire répression politique qui existe à ce jour en Europe. Au-delà de l’affront à la démocratie que représentent les peines de prison démesurées infligées à des responsables politiques éminemment respectables, nous devons rendre compte des observations effarantes que nous avons faites sur la façon dont l’Etat espagnol a jeté une chape de plomb sur toute la société catalane.
UNE «PRÉCARITÉ À VIE»
Nous avons rencontré des responsables administratifs de différents niveaux, qui ont été impliqués de par leurs fonctions professionnelles dans l’organisation du référendum du 1er octobre 2017. L’un d’entre eux, par exemple, est le directeur de la chaîne de télévision TV3, la plus regardée en Catalogne, qui a diffusé avant le référendum des spots télévisés commandés par la Generalitat, son organisme de tutelle, pour un montant total de quelque 700 000 euros. Il est condamné à verser une amende du même montant, ce qui le condamne, lui et sa famille, à une «précarité à vie».
Idem pour le fonctionnaire de la Generalitat qui était responsable de «Diplocat», un organisme chargé de faire connaître à l’extérieur l’action de la Generalitat et donc la démarche d’autodétermination décidée par la majorité élue en 2017. On lui réclame des millions d’euros ! De nombreux maires sont poursuivis et menacés de peines équivalentes pour avoir ouvert et mis à disposition de l’organisation du référendum des locaux publics qui ont servi de salles de votes. Les cas qui nous ont été présentés sont multiples, et plus choquants les uns que les autres. C’est toute une société, 7,5 millions d’Européens de nationalité catalane, que l’on veut étouffer méthodiquement en s’abritant derrière le prétexte de «non-ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat». Exactement comme nous le dénonçons régulièrement, en Hongrie par exemple.
La responsabilité de cet état de fait scandaleux n’incombe pas principalement aux dirigeants politiques de l’Espagne, et encore moins au tout nouveau gouvernement Pedro Sanchez-Pablo Iglesias, qui est issu des dernières élections législatives, et qui s’est engagé à ouvrir une «table de négociation» sur l’avenir de la Catalogne.
Ils sont, comme l’ont été les gouvernements qui les ont précédés, toutes tendances confondues, sous la pression de «l’Etat profond espagnol» où l’appareil judiciaire joue un rôle essentiel. Il y a quarante ans, la péninsule ibérique subissait deux dictatures de sinistre mémoire, le franquisme et le salazarisme. Si le Portugal a su se libérer totalement de ce passé, tel n’est pas le cas de l’Espagne où l’héritage de la période franquiste reste très fort, comme nous pouvons le constater, par nous-mêmes, sur les bancs les plus à droite de notre Parlement européen.
L’EUROPE EN CONTRE-POUVOIR
Le seul contre-pouvoir réel à ce pouvoir en grande partie occulte est l’Europe, comme l’a montré avec force la décision de la Cour de justice de l’Union européenne, qui a sanctionné les décisions de la Cour suprême espagnole. Depuis nos collègues Carles Puigdemont et Toni Comìn siègent parmi nous, et Clara Ponsatì va les rejoindre incessamment. Mais Oriol Junqueras n’a pas été libéré, comme la CJUE le demandait expressément, et, pire, on a assisté au scandale d’un Président du Parlement européen cédant aux injonctions de la juridiction d’un Etat-membre alors qu’il est tenu par une décision de la Cour de justice de l’Union européenne, et qu’il est le premier responsable de son application.
L’ensemble des faits que nous avons observés, et la succession des dysfonctionnements démocratiques qui sont intervenus à propos de la Catalogne, y compris à la Présidence du Parlement européen, nous amènent à tirer une sonnette d’alarme. Dans de nombreux pays d’Europe, France y compris, l’extrême droite est aux portes du pouvoir. Comment défendrons-nous les forces démocratiques de ces pays si elles se trouvent aux prises avec une dérive autoritaire semblable à celle qui a cours en Espagne ? Demain le débat sur la demande de levée de l’immunité parlementaire de nos collègues catalans va se dérouler sous une pression encore redoublée de la part de l’establishment étatique espagnol. Si nous cédons pour eux, qu’en sera-t-il pour nous-mêmes si nous sommes confrontés un jour à des autorités étatiques perverties ?
Les forces démocratiques espagnoles sont aveuglées par les enjeux symboliques du conflit avec la Catalogne, comme l’ont été d’autres forces démocratiques dans d’autres Etats dans l’histoire de l’Europe. En tant que Français, nous nous souvenons des dérives survenues lors du conflit algérien au tout début de la construction européenne.
Pour tous les défenseurs de la démocratie en Europe, ce serait une grave responsabilité de fermer les yeux sur ce qui se passe en Catalogne au bénéfice d’un jeu de pouvoir et d’alliances auquel participent des forces politiques espagnoles «hystérisées» par la question catalane.
Ce le serait pour la Catalogne, comme pour l’Espagne dans son ensemble, et aussi pour l’Europe, car cela nous annonce, au vu des évolutions politiques que nous devrons probablement affronter dans certains Etats-membres, des lendemains très difficiles. La seule décision sage que l’on peut prendre en tant que députés européens aujourd’hui, en suivant en cela le chemin tracé par les juges de la Cour de justice de l’Union européenne, est de nous porter solidaires de nos collègues catalans face aux injustices et aux discriminations qu’ils subissent. Parmi les victimes de la dérive autoritaire de l’Etat espagnol, des membres de notre groupe VERTS-ALE payent le plus lourd tribut. Nous sommes directement concernés.
Des députés européens, Groupe des Verts/Alliance libre européenne François Alfonsi, Benoît Bitteau et Michèle Rivasi