Au lendemain de son audience au tribunal administratif de Rennes, Daniel Cueff, maire de Langouët, vient parler écologie à l'université d'été des Régions et peuples solidaires, qui se tient à Ajaccio jusqu'à dimanche
Propulsé sur la scène médiatique à la suite de son arrêté antipesticides attaqué en justice par la préfecture d'Ille-et-Vilaine, Daniel Cueff gère la petite bourgade de Langouët, en Bretagne, 600 habitants, depuis vingt ans. Il en a fait un laboratoire de la transition écologique, avec cantine 100 % bio, production d'électricité locale... Son dernier fait d'armes : un arrêté pris le 18 mai qui interdit l'épandage de pesticides à moins de 150 mètres des habitations.
Résultat des courses : une audience au tribunal administratif de Rennes, jeudi 22 août. Le lendemain matin, l'élu a sauté dans un avion pour Ajaccio, en attendant la décision de justice qui devrait tomber en début de semaine prochaine.
Il participe à l'université d'été des Régions et peuples solidaires, fédération de partis régionalistes et autonomistes, dont il est sympathisant. Logique : selon lui, l'État centralisateur l'empêche de protéger ses habitants des pesticides.
En prenant cet arrêté, vous attendiez-vous à la procédure intentée par la préfète d'Ille-et-Vilaine ?
Pas du tout. D'abord, parce que j'avais pris un arrêté similaire en 2016 qui interdisait l'utilisation des pesticides tueurs d'abeilles dans un rayon de 3 km autour des ruches. Il n'avait posé aucun problème. Alors, je ne m'attendais pas à ce que la préfète réagisse cette fois-ci, d'autant moins que la population est de plus en plus sensibilisée au problème des pesticides. D'ailleurs, un sondage de l'Ifop conclut à 96 % d'opinions favorables sur mon arrêté. Ça, c'est la conjoncture globale.
Et la conjoncture locale ?
Dans ma petite commune de rien du tout, il y a une antenne du collectif écolo "Nous voulons des coquelicots". Ses membres ont fait des prélèvements d'urines avec huissier et les ont amenés en laboratoire d'analyse pour voir leur teneur en glyphosate. Ils ont trouvé des taux hallucinants, jusqu'à 30 fois supérieurs au seuil autorisé dans l'eau potable, notamment chez des enfants. Ils sont venus me voir, en me disant : "Monsieur le maire, que pouvez-vous faire ? Nous, on ne sait plus. On mange 100 % bio, et on a des pesticides dans nos urines. Ça veut dire qu'on en respire."
C'est leur visite qui vous a poussé à prendre l'arrêté ?
Oui, et l'association Ragster, qui travaille sur la question depuis longtemps. Ses membres m'ont permis de monter un dossier béton sur le plan juridique. Ils se sont aperçus que, depuis 2009, la France doit inscrire dans sa législation une directive européenne visant à protéger les habitations des pesticides. Cette législation n'est pas traduite dans le droit français. Elle devrait l'être. Depuis 10 ans, on tergiverse.
Donc la France ne respecte pas le droit européen ?
C'est ça. Avec leurs recherches, les militants de Ragster ont compris qu'il y avait un espace juridique pour les maires. Face à l'incapacité de l'État à appliquer la législation européenne, nous autres, élus locaux, pouvons prendre des mesures. L'argument selon lequel le maire n'est pas habilité à prendre des décisions sur les pesticides n'est pas recevable.
Certes, c'est une compétence du ministère de l'Agriculture. Mais à partir du moment où il ne prend pas ses responsabilités, il faut bien que quelqu'un, aux échelons inférieurs, s'en charge... et fasse respecter le droit européen.
Moi, je pallie une carence de l'État. Mes avocats et mes conseillers de l'association jugent l'arrêté légal de ce point de vue là.
Le deuxième argument de la préfecture concerne "l'absence de péril imminent". Qu'y répondez-vous ?
La définition juridique du péril imminent est très complexe. Mais on connaît la dangerosité des pesticides sur la santé, et les systèmes "antidérive" des agriculteurs n'empêchent pas les produits de s'évaporer et d'être transportés par le vent. Surtout par cette chaleur. C'est terrible ! On vous force à inhaler un produit qui vous met en danger. Vous pouvez prendre soin de vos enfants, leur assurer une alimentation saine, mais vous ne pouvez pas les empêcher de respirer. Il y a péril imminent, et l'État veut m'empêcher d'y répondre.
Votre cas concerne l'écologie. Y a-t-il d'autres sujets sur lesquels vous jugez l'action territoriale entravée par l'État ?
Oui, le problème de l'accueil des migrants ressemble beaucoup à mon cas. L'hébergement relève des compétences de l'État, mais s'il ne fait pas son travail, s'il ne respecte pas le droit au logement, les territoires n'ont aucune raison de rester les bras croisés. Les particuliers, associations et communes qui s'engagent se retrouvent devant les tribunaux, accusées de délit de solidarité. Alors qu'ils ne font que pallier les carences de l'État dans ce domaine. Comme moi avec les pesticides.
Vous appelez à davantage de liberté et de marge de manœuvre pour les territoires ?
Tout à fait. Il faut donner plus de place à la démocratie locale. L'État français est beaucoup trop centralisé : les préfets désignés par le gouvernement ont plus de pouvoir que tous les élus de la région réunis. Ce n'est pas normal. En Europe, il n'y a guère que la Turquie qui fonctionne ainsi, avec des gouverneurs qui appliquent la politique centrale dans les provinces. Il y a une forme de tutelle de l'État français sur les collectivités, contraintes en permanence de faire ou de ne pas faire les choses.
Vous trouvez ces contraintes de plus en plus fortes ?
Oui, la régionalisation est en panne depuis plusieurs années. Récemment encore, l'État a attaqué l'autonomie financière et fiscale des communes en supprimant la taxe d'habitation. Ce n'était pas forcément un bon outil, mais en la remplaçant par une dotation de l'État, on rend les territoires encore plus dépendants du pouvoir central.
Quand avez-vous rejoint la tendance régionaliste ?
C'est la première fois que je viens aux universités d'été, mais j'ai toujours été sympathisant, pour de multiples raisons. Prenez la cause de la langue : je la partage totalement. Ma petite commune a signé la charte du Gallo : c'est une des langues qui ont précédé la langue française en Bretagne. Elle est encore parlée par quelques anciens de chez nous. On l'enseigne dans l'école du village à raison de quinze minutes par jour. Mais au-delà de l'attachement aux traditions régionales, je trouve idiot de vouloir appliquer un même schéma à des régions si différentes. C'est inefficace. Si bien que je pense qu'on ne peut pas être écologiste sans être régionaliste.
Pourquoi ?
Parce que c'est comme ça que ça marche. Je n'ai pas si souvent eu le sentiment que l'État ait voulu m'empêcher de mener une politique écologiste, mais le fait est que ses normes me contraignent souvent dans mes objectifs. Par exemple, au début de mes mandats, j'ai jugé stupide d'avoir de l'eau potable dans les toilettes de l'école. Je voulais mettre de l'eau de pluie. On m'a dit non, au motif que les enfants pourraient boire l'eau des toilettes. Je dis : "Mais attendez, ça n'arrive pas ce genre de chose. Et si ça arrivait, n'est-ce pas un problème de mettre de l'eau de javel dans les toilettes ? Ce n'est pas dangereux peut-être ?"
On a finalement désobéi, et mis en place un système de récupération d'eau de pluie pour les sanitaires.
Vous n'avez pas eu de souci ?
Non. En fait, ce qu'il faut savoir, c'est qu'on peut réussir plein de choses en ne demandant l'avis de personne. Quand on demande une approbation, on tombe toujours sur un fonctionnaire qui nous dit qu'il ne peut pas cautionner ça, et on peut le comprendre au regard de la loi.
En vérité, on peut faire beaucoup de choses, à condition de ne pas demander l'avis de l'État. Les élus sont trop frileux, trop attachés aux normes, trop obéissants.
Et en Corse, vous les trouvez comment ?
Moins obéissants qu'ailleurs, et ça me plaît bien. Ils sont têtus et revendicatifs, j'ai l'impression qu'ils ne prennent pas la parole de l'État pour une parole d'évangile, et c'est très bien.
Les élus du continent devraient s'en inspirer ?
Tout à fait. Paul Houé, un très vieux militant des territoires que j'aime beaucoup, avait coutume de dire : une commune, un territoire, c'est comme une marmite, un chaudron.
Il faut se méfier du couvercle, qui peut étouffer la base. C'est le couvercle qui doit obéir aux ingrédients, à la température de cuisson. Pas l'inverse. Une belle image, je trouve.