Certaines situations obligent à renouveler le langage politique, tant elles échappent aux normes habituelles. C’est sans doute le cas de ce qui se passe aujourd’hui en Algérie.
Le Président sortant, Abdelaziz Bouteflika, est candidat pour un cinquième mandat consécutif malgré sa santé largement défaillante, au point de ne pouvoir prononcer un discours ou assurer une quelconque activité liée à sa charge. Cette annonce faite par le pouvoir en place a sidéré le peuple algérien qui, depuis, manifeste de façon continue et massive contre cette mascarade d’élection qui consiste à porter à la charge suprême d’un pays de 42 millions d’habitants un personnage fantoche et totalement manipulé par le cercle de pouvoir qui lui est proche.
En se résignant à cette candidature, ce premier cercle du pouvoir algérien a apporté la preuve de son incapacité à se renouveler. Il est impossible qu’il n’ait pas anticipé les oppositions à un nouveau mandat pour un Président qui passe le plus clair de son temps dans les hôpitaux depuis un accident vasco-cérébral qui lui a enlevé l’essentiel de ses moyens. Mais, otage d’équilibres précaires entre les grandes castes qui se partagent le pouvoir et la puissance économique en contrôlant l’appareil d’Etat, il ne pouvait donner un successeur à Bouteflika sans prendre le risque d’une explosion des rivalités entre armée, police, services secrets, oligarchie pétrolière, etc…
L’autre sujet d’interrogation profonde est la victoire annoncée comme certaine de ce candidat-fantôme, dès l’instant qu’il est investi par le FLN, parti hérité des années 60 et de la lutte contre la colonisation. Le caractère purement formel de la démocratie algérienne est ainsi mis à nu, les élections n’étant qu’un habillage pour légitimer une oligarchie omnipotente.
L’Algérie n’est certes pas le seul pays au monde où la démocratie est purement formelle. Poutine en Russie en est un autre exemple, parmi d’autres. Dans ces pays, le peuple ne se rend aux urnes que pour valider des jeux de pouvoir totalement occultes, après que toute opposition ait été laminée, par le clientélisme, la manipulation, et la répression, jusqu’à l’assassinat politique. Mais quand les apparences d’une façade présentable pour l’édifice du pouvoir disparaissent, la crise qui s’ouvre alors peut aller très loin.
C’est ce qui se passe en ce moment en Algérie. On y observe une situation « métastable » pour utiliser un mot emprunté à la physique qui décrit la stabilité totalement apparente d’un système, dont le basculement est inévitable. L’exemple utilisé pour décrire cet état est celui d’un balancier maintenu à l’équilibre « la tête à l’envers », a contrario des lois élémentaires de la gravité. Cet équilibre « métastable » peut se perpétuer ainsi très longtemps, mais une chose est certaine : dès l’instant que le balancier bascule, il ne reviendra plus jamais dans sa position initiale !
La contestation déclenchée par la nouvelle investiture accordée au candidat-fantôme Abdelaziz Bouteflika risque bien de déstabiliser définitivement l’édifice du pouvoir algérien, jusqu’à renverser « l’équilibre métastable » sur lequel il a fondé sa domination depuis des décennies. Que pourrait-il alors advenir ? Un scenario « à l’égyptienne » projetant un satrape de l’Etat-major à la tête d’un Etat dictatorial ? Un scénario « à la libyenne » promettant un chaos durable entre factions rivales ? Ou un « scénario à l’algérienne », totalement inédit, qui faciliterait l’émergence d’une démocratie dans ce pays essentiel pour la stabilité de l’espace méditerranéen ?
Car le peuple algérien est un peuple politisé. La presse y est plutôt libre, son intelligentsia indépendante, et sa diaspora largement mobilisée. Les citoyens y sont prêts pour une révolution démocratique. C’est le mieux que l’on peut leur souhaiter. De toutes façons le système sclérosé qui étouffe ce pays depuis des décennies devait bien disparaître un jour. L’heure est semble-t-il venue.
François ALFONSI, chef de file Régions et Peuples Solidaires aux européennes