Le référendum est l’une des principales revendications des «gilets jaunes». Rien dans la législation française ne vient en faciliter l’organisation, explique l’historien franco-suisse Claude Barbier, délégué au Pôle métropolitain du Genevois français (Grand Genève).
Parmi les revendications des «gilets jaunes», celle réclamant l’organisation de référendums n’est pas la moins scandée. Plusieurs manifestants faisaient référence à la possibilité offerte aux citoyens suisses d’être les initiateurs de ce type de démarche. Les médias français avaient repris, mi-amusés, mi-admiratifs, le fait que les électeurs suisses puissent voter pour savoir s’il fallait subventionner ou non les propriétaires de troupeaux de vaches dont les cornes étaient maintenues.
Les Français ne peuvent, en pratique, lancer un référendum, malgré la fort timide ouverture opérée depuis la réforme constitutionnelle de 2008. Entre les mains du seul président de la République depuis 1958, la réforme de 2008 permet à un cinquième des membres du parlement (au moins 185 députés ou sénateurs) soutenus par un dixième des électeurs (soit environ 4,6 millions de Français) de demander la tenue d’un référendum.
On voit tout de suite la dissymétrie entre les deux législations, la française et la suisse. En Suisse, pour actionner le référendum d’initiative populaire, il faut 100 000 signatures, soit celles de 2% des citoyens de la Confédération. Dans le cadre d’un référendum facultatif, seules 50 000 signatures sont exigées (soit 1% du corps électoral), sans condition de demande des parlementaires (conseillers nationaux ou aux Etats).
Les citoyens restent des mineurs
Rien dans la législation française ne vient faciliter l’organisation de référendums, pas mêmes locaux. Les articles 1112-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales indiquent que seul l’exécutif local (le maire, par exemple) est compétent pour proposer à l’assemblée délibérante (le législatif) l’organisation d’un référendum. La loi vient tordre un peu plus d’ailleurs la possibilité que ce type de consultation populaire soit organisée, puisqu’elle précise que le projet soumis à référendum n’est adopté que si la moitié des électeurs inscrits ont pris part au scrutin.
Si on appliquait cette dernière condition à la Suisse, l’essentiel des référendums locaux passeraient à la trappe, puisque rarement la majorité du corps électoral décide de se déplacer pour voter.
Les régimes politiques qui se sont succédé en France ont en pratique tenu à l’écart les citoyens des revendications qu’ils pouvaient émettre par eux-mêmes, sans s’en remettre à leurs représentants.
Il n’Or c’est là où aujourd’hui le bât blesse. Si on ne peut enlever à Emmanuel Macron son intelligence, celle-ci ne va pas jusqu’à comprendre qu’il n’est plus possible aujourd’hui d’enfiler les pantoufles du général de Gaulle comme si nous étions encore en 1958. En 1958, un peu plus de 10% d’une classe d’âge obtenait le baccalauréat. On est aujourd’hui à presque 80%.
Cela signifie, a priori, qu’un plus grand nombre de personnes sont en mesure de conduire une réflexion, de comprendre un texte, d’en faire la critique. D’une certaine manière, le projet de la République visant à faire des habitants de la France des citoyens grâce à l’enseignement acquis dans les écoles a abouti. Pourtant, leurs droits démocratiques n’ont absolument pas évolué entre 1958 et aujourd’hui et ils restent des mineurs au nom de qui quelques centaines de personnes réunies dans un parlement ont le droit de décider de tout.
Un droit bicentenaire
Autre changement fondamental: l’arrivée des réseaux sociaux (Facebook, Twitter, etc.) qui permettent à chacun, aisément, de faire connaître son point de vue, de débattre en direct. En fait, chaque habitant de ce pays se retrouve en mesure d’être dans l’agora, dans une horizontalité réclamée. C’est bien là que l’occupant du palais de l’Elysée n’a rien compris, c’est que sa verticalité jupitérienne vient buter contre l’horizontalité revendiquée par nos contemporains: le choc est brutal.
Plus curieusement, ce fait n’est pas relevé, cette mise à l’écart des citoyens français par leur législation est elle-même contraire à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, dont l’article 6 précise pourtant: «Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement […] à [la] formation [de la loi].»
C’est exactement ce qu’ils réclament aujourd’hui. Que n’attendent-ils pour lire la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, mère de celle dont on célèbre (peu) le septantième anniversaire ces jours-ci? Que n’attendent-ils pour exiger l’application des droits qui leur sont reconnus dans leur charte plus que bicentenaire?
Claude Barbier
Secrétaire Général de Régions et Peuples Solidaires