Les revendications qui ont été au cœur des dernières négociations entre les élus Corses et le pouvoir central ne sont pas nées sous cette République dont nous commémorons bientôt les soixante années. L’histoire de l’évolution statutaire de la Corse est indissociable de celle, singulière, des mouvements nationalistes, qui ont fait de ladite évolution l’un des arguments phares de leurs revendications. Au sein de cette histoire, les dates, les écrits, les figures, les événements violents ou démocratiques se succèdent sans jamais se départir de l’histoire englobante de cette île, principal pilier de la rhétorique partisane. Le projet de réforme constitutionnelle dont il sera question dans cette intervention ne peut s’appréhender abstraction faite de ces considérations historiques et politiques.
Le gouvernement a présenté, en mai dernier, le projet de loi constitutionnelle à l’Assemblée
nationale. Point d’orgue de l’évolution statutaire pour les uns, chef-d’œuvre de coquille vide pour les autres, l’insertion de la Corse dans la Constitution est, de notre point de vue, insuffisante et incohérente. Les raisons de cette aporie constitutionnelle sont idéologiques, et dépassent le seul cas de la Corse. Incontestablement, le récit de la Vème République peut aussi se faire à travers le prisme jacobin. D’un Etat centralisé et centralisateur, la République française a pourtant glissé, acte par acte, vers une organisation décentralisée. Mais fondamentalement, son visage ne change pas et ce récit jacobin nie et combat la diversité territoriale. D’où une position de l’Exécutif, malgré le désormais célèbre « pacte girondin », très ambigüe sur la différenciation.
Entre un Etat régional accordant l’autonomie à toutes ses régions et un Etat unitaire trop
centralisateur, la Corse aurait pu servir de modèle pour une voie alternative, à l’image d’autres îles méditerranéennes. Celle dans laquelle une collectivité à statut particulier pourrait jouir du droit d’adapter les règlements et les lois nationales, et d’adopter des textes de forme législative dans des domaines délimités par la Constitution. Et de présenter ainsi la République française sous un jour moins rigide, moins centralisateur, respectueuse de l’attachement des citoyens à leurs territoires.
Au sein d’une République décentralisée, égalité ne doit pas rimer avec uniformité et l’actuel projet de loi constitutionnelle, pas encore adopté, a déjà des allures de rendez-vous manqué.