Monsieur le Président de la République,
22 janvier dernier, la cérémonie de célébration du 55e anniversaire du Traité de l’Élysée s’est tenue à Paris à l’Assemblée nationale, en présence du Président du Bundestag Monsieur Wolfgang Schäuble. Le taux de participation des députés français, présents dans l’hémicycle pour, seulement, un quart d’entre eux, a eu un effet catastrophique. De nombreux Alsaciens en ont éprouvé beaucoup de déception et une grande honte.
L’amitié franco-allemande revêt en effet pour notre région une importance particulière, ce qui ne semble pas le cas pour une majorité de la représentation nationale.
Ceci m’a poussée à adresser un courrier à la Chancelière Madame Merkel, au nom du parti alsacien Unser Land, qui est activement engagé, entre autres combats, pour la sauvegarde de la langue et de la culture alsaciennes, historiquement liées à la langue et la culture allemandes.
Par la présente j’ai l’honneur d’en rapporter la teneur et je me permets de vous soumettre les réflexions que nous inspire, dans le cadre des discussions en cours sur l’avenir de l’Alsace, cette question fondamentale de l’amitié entre les deux pays piliers de la construction européenne. La copie du courrier original est jointe.
Nous nous réjouissons de la franche coopération entre nos deux pays et la saluons. Une telle coopération nécessite cependant qu’une réflexion approfondie soit menée sur le sens de l’amitié franco-allemande, qui dépasse largement les aspects économiques. L’Alsace et le département de la Moselle, pour des raisons historiques et culturelles, sont particulièrement intéressés à la perpétuation et au renforcement de cette amitié et peuvent y contribuer activement, parce que précisément la langue allemande fait partie de leur héritage.
Malheureusement, les langues régionales n’ont actuellement en France aucun statut officiel. La Charte européenne des langues régionales et minoritaires n’a toujours pas été ratifiée. Cette situation rend très difficile le maintien de notre culture et de notre langue alsaciennes. L’allemand d’Alsace (Elsässerditsch) est cependant une langue vivante, riche d’une histoire millénaire.
L’Alsace a joué un rôle de première importance dans le monde germanophone et devrait pouvoir conserver et cultiver sa relation particulière avec la langue allemande, qui y est profondément enracinée. Permettez-moi une rapide présentation historique. La première œuvre littéraire en langue allemande, le Livre des Évangiles, est née sous la plume d’Otfrid de Wissembourg, un écrivain alsacien du IXe siècle. L’Alsace a aussi précédé les autres régions germanophones dans le remplacement du latin par l’allemand dans les actes administratifs. Depuis le Moyen Âge, des Alsaciens ont compté parmi les écrivains et théologiens de langue allemande les plus significatifs, parmi lesquels Gottfried de Strasbourg († vers 1215), Johannes Tauler († 1361), Sebastian Brant (1458-1521), Albert Schweitzer (1875-1965).
Ce glorieux héritage n’est malheureusement pas valorisé. Il est méconnu de la majorité des Alsaciens eux-mêmes, entre autres parce que l’école française l’a délibérément occulté. La conséquence en est la disparition des connaissances historiques, culturelles et linguistiques des Alsaciens. Le processus d’éradication de notre langue qui est en cours depuis des décennies entraîne inexorablement la dissolution de notre lien historique avec la culture allemande. Le bilinguisme français allemand est insuffisamment soutenu, alors qu’à l’évidence une politique volontariste devrait s’imposer comme une priorité.
L'exemple pourrait venir de la Sarre. Sous l’égide de sa Présidente, Madame Annegret Kramp-Karrenbauer, ce Land se fixe des objectifs ambitieux pour une coopération efficace avec la France voisine. Le bilinguisme figure à la première place dans ce projet politique majeur. Nous devons malheureusement constater que dans le département de la Moselle, voisin de la Sarre, ces grands objectifs ne trouvent pas réellement d’écho. La situation de ce département, sous l’angle de la régression linguistique, est à mettre sur le même plan que celle de l’Alsace. Il apparaît pourtant clairement que les jeunes qui souhaitent construire leur avenir au pays seraient mieux « armés » s’ils disposaient de nos caractéristiques biculturelles traditionnelles.
Une difficulté supplémentaire est née de la réforme territoriale de 2015 et de la fusion forcée de l’Alsace avec la Lorraine et la Champagne-Ardenne. L’Alsace n’est plus, politiquement, une région, ce qui l’empêche de décider librement de son avenir.
À l’occasion de la célébration du 55e anniversaire du Traité de l’Élysée, nous exprimons le souhait que soit dévolu à notre région le statut particulier qui lui permettra d’incarner la réconciliation entre l’Allemagne et la France et l’idée européenne. Le fait que les deux cultures y sont enracinées justifie pleinement notre aspiration. En effet, quels territoires autres que l’Alsace et le département de la Moselle auraient davantage vocation à être le pont entre les deux pays ? À la condition, bien entendu, de ne pas s’écarter plus longtemps de leur destin bilingue et biculturel !
C’est là, l’objectif que poursuit le parti alsacien Unser Land, sur la base d’un puissant sentiment européen. Il me paraît essentiel de vous en faire part, afin que vous preniez la juste mesure du potentiel de notre région et que vous lui donniez les outils institutionnels qui lui permettront d’exploiter ce potentiel et de le développer.
Dans cet espoir, je vous adresse mes respectueuses salutations, Andrée Munchenbach
Copie à M. François de Rugy, Président de l’Assemblée nationale.
Copie, en langue allemande, à Mme Angela Merkel, Chancelière allemande et au Dr. Wolfgang Schäuble, président du Bundestag