Dans les 48 heures qui suivront la parution de ce numéro d’Arritti, le premier tour des élections présidentielles aura livré son verdict. Probablement, un favori sera alors nettement connu pour le second tour. Il nous reste à attendre, et voir… Jamais une élection présidentielle n’aura soulevé aussi peu d’enjeux directs pour la Corse.
On se souvient de 1981, quand l’élection de François Mitterrand avait été synonyme d’amnistie pour les prisonniers politiques et de la création du premier « statut particulier ». Cette année-là les enjeux étaient forts et nous avions été nombreux à nous rendre aux urnes. Même chose en 1988 quand l’élection présidentielle a débouché sur une nouvelle amnistie et le « statut Joxe », Michel Rocard étant premier ministre et prononçant ce fameux discours qui lui valut tant d’hommages, notamment de la majorité nationaliste, à l’occasion de ses obsèques. Les enjeux avaient alors été forts pour la Corse.
L’élection de 2002 aussi est restée dans les mémoires, quand l’échec inattendu de Lionel Jospin, battu au premier tour par Jean Marie Le Pen, a mis en berne le processus de Matignon et fait échouer le projet de suppression des deux départements. Il aura fallu 15 années pour déboucher enfin sur la disparition des deux Conseils départementaux !
Ce bref rappel suffit à nous rappeler qu’une élection présidentielle française ne peut être tout à fait indifférente pour la Corse. Mais, jamais comme cette année, elle ne nous aura semblé aussi lointaine et aussi déconnectée des réalités corses.
Cela tient bien sûr aux candidats, car tous les principaux protagonistes ont régulièrement affiché leur peu d’intérêt, quand ce n’est pas une franche hostilité, à la question corse.
Ainsi, le parti de Marine Le Pen, dont la flamme cocardière est encore plus marquée depuis l’arrivée aux commandes de l’ex-chevénementiste Florian Philippot, n’a jamais manqué de manifester son aversion pour le mouvement national corse. Des jeunes militants de Ghjuventù Indipendentista sont venus le lui rappeler en perturbant crânement son meeting ajaccien. Courageuse et salutaire, leur intervention a permis de mettre les choses au clair : de ce côté-là, il n’y a rien d’autre à attendre que « piulate, bastunate è batarchjate » !
Le carré de tête des sondages a intégré désormais Jean Luc Mélanchon, l’exact équivalent de Marine Le Pen à l’extrême gauche sur la question corse. Seul ou presque à voter contre les langues régionales au Parlement Européen, jacobin à la rigidité légendaire, pourfendeur régulier des nationalistes corses, ou basques, ou d’ailleurs, il est pour nous un adversaire résolu. Son élection, à n’en pas douter, rendrait les choses bien plus compliquées pour la majorité nationaliste de l’Assemblée de Corse !
François Fillon, sous des dehors plus dissimulés, a en fait le même profil étatique jacobin. En cinq années comme premier ministre, et depuis six mois qu’il bat la campagne, il n’a jamais donné le moindre signe d’ouverture. Vraiment pas de quoi amener un électeur nationaliste corse jusqu’à l’isoloir !
Benoît Hamon, sélectionné par la primaire du PS, mais lâché depuis par bon nombre des cadres du parti, à commencer par François Hollande lui-même, finit sa campagne éreinté. Mais ni son discours, ni son parcours, n’incitent à se mobiliser pour le repêcher. Par exemple, il n’a jamais apporté sa signature de parlementaire à aucune des propositions formulées en faveur des langues régionales. Et son discours corse a été à l’avenant.
Même constat pour Emmanuel Macron : derrière les approches électoralistes, le contenu de ses interventions est bien décevant. Et, s’il est élu, la suite risque fort de rester bien en deçà de ses maigrissimes promesses.
La Corse constate impuissante le divorce entre ses aspirations et les débats qui, depuis les primaires il y a six mois, rythment la vie politique française. C’est bien dommage, d’autant que l’élection de certains serait catastrophique pour nôtre île. Mais l’important c’est que notre envie d’avenir, manifestée par le vote de décembre 2015, reste intacte.
François ALFONSI